Les adeptes de la maxime « le temps, c’est de l’argent » risquent assurément de mal le digérer, mais, le restaurant « L’instantané » ne s’appelle nullement comme ça pour célébrer le « manger vite », le plat standardisé déjà tout près à faire réchauffer en 30 secondes, les sauces en poudre et autres saveurs lyophilisées à peine commandées et déjà fumantes.
Non, c’est même tout l’inverse.
« L’instantané », c’est l’affirmation assumée que le temps, avant que d’être de l’argent, c’est d’abord et surtout de la valeur. Ce nom, Julien Chabert, l’homme qui préside aux destinées de ce petit paradis pour gourmets, l’a choisi non pas en référence à la déclinaison du chronomètre mais pour rendre hommage à la photographie qui en un déclic immortalise la beauté d’un instant. Ce grand cuisinier avoue être particulièrement sensible à la puissance des images surtout quand elles concernent… les assiettes finement préparées et les plats mijotés.
Dire que Julien Chabert est passionné par la cuisine, c’est tout sauf justement un « cliché » et ce, depuis au moins l’époque où, enfant, il observait fasciné sa mère faisant des merveilles derrière les fourneaux. A cette prédisposition personnelle et familiale, il convient d’ajouter que ce « chef » d’exception dispose en plus d’une formation plus qu’enviable : lycée hôtelier pour commencer où ses résultats de fin d’études lui ouvrent la voie du très prisé concours du meilleur apprenti de France, puis il multiplie les expériences dans les hauts lieux de l’art culinaire que sont le Ritz, la Maison Lasserre, le Plaza Athénée ou le restaurant étoilé Lozérien de Cyril Attrazic « Chez Camillou ». Il a même œuvré pour la clientèle très sélecte des jets privés dans un aéroport de la Côte d’Azur.
S’il s’installe à Clermont-Ferrand, c’est d’abord pour suivre son amoureuse (on vous l’a dit, l’homme est un passionné !). Il y découvre au 2, rue Abbé Girard un espace idéal pour ouvrir son propre restaurant, « L’instantané », donc. Depuis le 21 septembre, date d’ouverture, les gourmets de tout poils s’y pressent pour faire défaillir leurs exigeantes papilles. Il faut dire que le lieu est chaleureux, convivial et séduisant pour les yeux avec cette belle salle voûtée et sa déco bistrot. Mais on y vient, vous vous en doutez, surtout pour la bouche.
Julien Chabert excelle dans la préparation des plats d’avant que l’on ne trouve, pour ainsi dire, plus nulle part, comme les succulentes joues confites de bœuf ou de cochon, l’incomparable chou farci, l’affolant jarret de veau braisé aux cèpes ou le si raffiné omble chevalier au lait de noisettes, le tout revisité avec une touche toute personnelle, plus contemporaine et plus « légère ».
« J’aime préparer des recettes pour les gens qui n’ont plus le temps de les faire », explique notre homme en toute simplicité. Et il est vrai que lorsque nous sommes venus l’interviewer, une fascinante pièce de paleron de bœuf finissait de mijoter dans son jus après 9 heures de cuisson !
Du fait que la bonne cuisine se marie habituellement très mal avec la logique de réserve et de stocks, « L’instantané » propose une nouvelle carte à peu près toutes les mois, avec en moyenne, temps de préparation oblige, 5 entrées et 5 plats au choix.
Autre atout de ce temple de la gastronomie sincère et authentique, la qualité à nulle autre pareille des produits cuisinés. La plupart des viandes proviennent de petits producteurs du Massif Central et les légumes des meilleurs maraîchers de nos terroirs. De fait, la cuisine est de saison et évolue avec grâce au rythme des productions de la nature. Tout est fait maison, les sauces, les jus et même les accompagnements.
Si à « L’instantané » on découvre (ou redécouvre pour les anciens) le plaisir vertigineux du fumet délicat d’un pot-au-feu traditionnel ou la sensualité gustative d’un confit maison accompagné de légumes frais croquants et de champignons, que dire alors des desserts ?
Julien Chabert est juste un pur magicien de la pâtisserie dont il a appris les secrets auprès des meilleurs spécialistes oeuvrant dans les grands restaurants parisiens. Vous croyez connaître le goût d’une crème brûlée, alors venez tenter l’expérience. La recette du « maître » n’a en effet aucun point commun avec ce pathétique mélange jaunâtre trop souvent servi sur les tables et obtenu sans mérite aucun après un banal rajout d’eau tiède dans un sachet de poudre industriel. Et s’il n’y avait que le goût, encore. Mais il y a la texture. Un délice propre à vous faire submerger par l’émotion.
Vouloir comparer la carte des desserts de Julien Chabert et celle d’une brasserie quelconque est aussi incongru que de comparer un portrait réalisé par les Studio Harcourt et un selfie pris sans flash au fond d’un puits. Côté vin, le restaurant ne fait pas dans le tape à l’œil prétentieux mais là encore, dans l’authenticité et dans l’harmonie. D’excitantes perspectives pour les amateurs de beaux flacons comme actuellement cette sélection de vins du pays d’Oc ou ce fameux Graves du Château Auney L’Hermitages. Les blancs ne sont pas en reste et sont choisis majoritairement dans les meilleurs domaines des côteaux auvergnats.
On pourrait croire que tout ce savoir faire de haut niveau et ce talent ne sont accessibles qu’aux anciens clients de jets privés de Julien Chabert. Mais là encore, c’est tout le contraire dont il s’agit. Voyez plutôt. Le midi, trois formules sont proposées :
–Entrée, plat, dessert : 15,50€ ;
–Entrée, plat ou plat, dessert : 13,50€ ;
–la formule « bistrot » avec son plat, sa boisson et le dessert : 13,50€.
Pas de quoi vous couper l’appétit.
Bref, on l’aura compris, « L’instantané » est un restaurant absolument précieux pour tous les épicuriens qui se navrent jour après jour de la standardisation et de l’impersonnalisation des arômes et des saveurs dictées par les adeptes de la seule optimisation financière du temps. Oublions donc ces tristes sires en repensant à la délectable et si judicieuse chanson « Le temps ne fait rien à l’affaire » de l’immense Georges Brassens et remercions surtout l’amoureuse de Julien Chabert d’avoir eu l’excellente idée de venir s’installer (pour longtemps, espère-t-on) dans la capitale auvergnate.
En conclusion, cet « Instantané »-là invite, contrairement à ce que préconise l’art de la photographie, à flasher en mode « pause longue ».
Ouvert du lundi au jeudi jusqu’à 22H, le vendredi soir, jusqu’à 22H30. Fermé le week-end sauf sur réservation pour les groupes).
CharlyM